Autres dépérissements

On considère «dépérissante» une variété dont la mortalité prématurée est un phénomène inexpliqué. Parler du dépérissement de la Syrah est ainsi très révélateur de l’ignorance des causes réelles de cette dégénérescence, qui provoque le déclin et la mort précoce du plant de vigne.

Observé depuis les années 1990, le dépérissement de la Syrah pose un grave problème viticole dans la plupart des pays cultivant ce cépage.
Outre le rougissement automnal du feuillage très caractéristique, le dépérissement de la Syrah se remarque également par la présence de crevasses longitudinales tout autour d’un bourrelet de soudure de taille exagérée (point de greffe), ainsi que par une dégénérescence des organes aériens du plant (rachitisme, perte de fertilité, mauvais aoûtement, dessèchement).

La dégradation des tissus va empêcher la redistribution de la sève élaborée et la constitution de réserves dans les racines. La dégénérescence est irréversible car les zones nécrosées ne peuvent se reconstituer. Lorsque tous les symptômes précités de «dépérissement » apparaissent, l’espérance de vie du cep ne dépasse pas deux années, et celle d’une parcelle affectée une quinzaine d’années.

Depuis 2003, nous avons procédé à différentes expérimentations de regreffage sur porte-greffes. Nous avons également réalisé une plantation comparative de greffage de Syrah clone 877 sur porte-greffe 161-49, tous deux considérés comme dépérissants, selon trois modalités: greffés-soudés en omega, greffés-soudés en «trait de Jupiter» (fente anglaise mécanique) et greffages manuels en Chip-bud sur portegreffes racinés directement au champ.

La différence entre les greffés-soudés mécaniquement et les greffes à l’œil manuelles (Chip-bud) est sans équivoque: les vignes greffées en Chip-bud se portent bien mieux. Nous pouvons aujourd’hui observer vingt fois plus d’expression de dépérissement sur les modalités mécaniques.
Bien sûr, on ne peut pas assurer qu’il n’y aura pas un jour une forme de dépérissement sur les greffages manuels. Il nous faut encore plus de recul et d’années d’observation. Mais il est indéniable que la qualité de la soudure du point de greffage original est particulièrement influente.

Il s’agit bien sûr d’un ensemble de facteurs qui concourent, simultanément ou successivement, à l’affaiblissement, au dépérissement et à la mort du pied de vigne.

D’après notre constat, deux causes initiales principales entrent en jeu dans le problème du dépérissement de la Syrah: la sélection clonale et l’élément traumatique (la greffe non-harmonieuse).

Il existe toujours des Syrah centenaires en France (Côtes-du-Rhône, Provence), et ailleurs (Italie, Espagne, Australie), franches de pied ou marcottées, qui n’ont jamais exprimé cette dégénérescence. Elles sont issues de sélections massales.

Le dépérissement de la Syrah n’existe que sur des sélections clonales. Lorsqu’on décide d’une plantation avec un clone qui s’avère posséder un gène de fragilité, c’est toute une parcelle qui va dépérir. Dans le cas des massales, on bénéficie au contraire d’une biodiversité intra-variétale, avec des individus génétiquement variés et différents.

Si un plant est atteint d’une fragilité, il va dépérir, mais de manière isolée. Ses voisins ne seront pas affectés. Avec les clones, le dépérissement est multiplié à l’infini, pour frapper finalement toute la viticulture. La fragilité des plants engendrée par la modification génétique est l’autre conséquence de la sélection clonale. Certains matériels sont devenus extrêmement sensibles aux blessures. Une fragilité qui s’observe après des lésions causées par les charrues, les tailles rases, des ligatures trop serrées, la grêle, et dont la manifestation symptomatique est appelée le «rougeaud traumatique ».

Mais comme toujours, le premier élément traumatique que l’on inflige au végétal, c’est la greffe. Les greffes mal vascularisées avec des soudures difformes créent des lésions qui fragilisent les tissus. La dégradation est ensuite inévitable. Dès leur mise en terre, la plupart des greffés-soudés présentent des soudures fragiles et une vascularisation incomplète.

Pour la physiologiste végétale Danielle Scheidecker, « les blessures modifient localement le métabolisme des tissus lésés », faisant apparaître de nouveaux «facteurs de stimulation ou d’inhibition».
Elle précisait également que le greffage induisait « dans bien des cas, une modification des cadences de développement, modification de la vitesse ou de la durée de la croissance », conduisant « à une accélération des rythmes biologiques et donc à une production éventuelle plus hâtive mais aussi à un vieillissement prématuré ».

Nos plants de vigne sont dès le départ voués à un déclin inéluctable. Le cas de la Syrah est évidemment le plus connu, mais d’autres cépages et porte-greffes connaissent des formes inexpliquées de dépérissement (Rolle, Riesling, Grenache, 161-49, 3309C, Gravesac, etc).

Étrangement, nous n’avons rencontré aucun problème après les avoir greffés au champ à la main, avec nos techniques de greffage à l’œil.

Comme nous n’observons pas de dépérissement sur toutes les Syrah, les Grenache, les Rolle, que nous avons regreffés à l’œil, parfois même avec des greffons issus de leurs propres sarments, alors que ces vignes étaient mourantes.

Quelle que soit la variété de porte-greffe et de greffon de Vitis vinifera, nous n’avons, jusqu’à présent, jamais rencontré d’incompatibilité, de manque d’affinité ou de dépérissement après les avoir greffés, regreffés ou surgreffés en T-bud.

En 1895, le professeur d’agriculture Baptiste Drouhault écrivait dans La Revue de Viticulture, l’ancêtre du Progrès Agricole et Viticole: « C’est de la perfection des soudures que dépendent surtout la vigueur et la longévité des vignes greffées. […] On cherche souvent la cause du dépérissement de beaucoup de ceps dans des phénomènes plus ou moins caractérisés, alors qu’elle réside simplement dans une mauvaise soudure ». Tout est dit.

Bien des professeurs, dès la fin du XIXe siècle, nous ont alerté sur ces différentes problématiques et risques encourus, mais le monde viticole n’a pas voulu entendre leurs avertissements.

La situation est grave, mais pas désespérée. Les problèmes du dépérissement et des maladies du bois ne sont pas une fatalité. On peut facilement inverser la tendance.

Il suffit de faire preuve de bon sens. Nous avons pu démontrer que les vignes minutieusement greffées à la main ne meurent pas des suites de l’esca, ni ne dépérissent de manière inexpliquée. Tant que nous devrons composer avec le greffage obligatoire de nos vignes, il est fondamental de le faire de la manière la plus qualitative possible, en favorisant une biodiversité variétale et intra-variétale. En greffant au champ, et avec davantage de sélections massales, nous obtiendrons des vignes plus résistantes et durables.